Emprunts toxiques : enfin on parle du fond !

Publié le par Parti Socialiste de Saint-Germain-en-Laye

Dette ToxiqueLe tribunal de grande instance (TGI) de Paris a rendu un jugement ce 28 janvier à propos du litige qui oppose la communauté urbaine de Lille (LMCU, ou simplement Lille) à la banque RBS.

Ce litige est intéressant pour les habitants des 15 communes du Sidru [le syndicat intercommunal qui gère nos ordures ménagères] à deux titres : tout d'abord deux des trois formules jugées sont similaires à celles contractées par le Sidru auprès des banques Natixis et Depfa, et ensuite le litige qui oppose le Sidru à la banque Depfa (rappelons que le Sidru a assigné Depfa en mai 2011 et accumule 8,7 M€ d'impayés à fin 2013 auprès de cette banque) sera également jugé par la 9ème chambre du TGI de Paris, à moins qu'un accord ne soit trouvé dans le cadre de la médiation judiciaire en cours.

Dans le jugement rendu il y a quelques jours, on assiste - enfin - à un débat sur le fond, et non à l'argument jusqu'ici évoqué de l'absence de TEG : un point de forme qui n'a eu aucun impact sur la conclusion des contrats. Sans rentrer ici dans des détails juridiques, cet aspect est un troisième point commun entre cette affaire et les formules toxiques du Sidru, car le Sidru ne peut pas non plus utiliser l'argument de l'absence de TEG (au Sidru comme à Lille les formules risquées ont été traitées dans des swaps, pas des emprunts).

Les trois formules incriminées ont été conclues en 2007, là encore comme celles du Sidru. Elles ont amené la collectivité à payer, en cas de scénario défavorable1 :

1. Une formule indexée sur le dollar contre franc suisse : 3,50 % + 100% x (1,0795 / (USD/CHF) -1)

2. Une variante exposée au même risque : 1,99 % + 100% x (EUR/USD - EUR/CHF)

3. Un différentiel d’inflation cappé [plafonné] à 8% : 5,90% + 5 x (inflation française - inflation européenne)

La deuxième formule est identique aux paramètres près à celle conclue par le Sidru avec la banque Depfa : 4,68% + 170% x (EUR/USD - EUR/CHF). On remarque que la formule du Sidru a un effet de levier très supérieur à celui de Lille. Cependant le levier de Lille égal à 100% est encore très supérieur à celui commercialisé par Dexia (30% en général). Pour plus de détails, voir notre panel de 16 emprunts toxiques vendus avec cette formule à ce lien.

Quant à la formule n°1, elle a été moins commercialisée. Nous en avons deux exemples dans notre panel (à ce lien).

Analysons le jugement au fil de sa rédaction avant d'en tirer des enseignements pour le Sidru.

Le demandeur (Lille) demande l’annulation des contrats ou le versement de dommages-intérêts correspondant au coût d’annulation des opérations. La communauté urbaine plaide que les opérations ne constituent pas une couverture, sont spéculatives et sont contraires à la circulaire d’encadrement de 1992 : « les contrats en cause ne sont pas des opérations de couverture ; en effet, pour prétendre à cette qualification, les contrats d’échange de taux doivent minorer l’exposition au risque de taux, ce que ne font pas les contrats litigieux » (p. 5).

Par ailleurs, Lille reproche à la banque de ne pas l’avoir correctement informée et conseillée : « la banque a manqué aux obligations d’information, de conseil et de mise en garde qui lui incombaient, […] la banque s’est de facto positionnée comme conseil de LMCU, elle était de plus tenue d’un devoir de mise en garde, les opérations étant spéculatives et LMCU n’étant pas un opérateur averti ».

La collectivité estime même que la banque « a fait preuve de mauvaise foi » et qu’ « il existait une situation de conflit d'intérêts entre LMCU et la banque, qui aurait dû mettre en place des mesures de gestion du problème, et a minima révéler la valorisation des swaps, et la relation de cause à effet entre cette valorisation et le montant des marges susceptibles d’être réalisées, qui ont été cachées » (p. 6).

De son côté la banque demande sans surprise que le demandeur soit débouté. Elle argumente sa position en observant que la communauté urbaine avait conclu entre 2007 et 1991 « 48 opérations de couverture contractées auprès de 13 salles de marché ». De plus, « elle a rempli son devoir d’information ; le seul élément dont la collectivité n’a pas été informée est la valorisation des contrats litigieux, élément qui n’avait en réalité pas d’importance » (p. 9).

Les juges déboutent Lille sur plusieurs points, notamment le dol et l’erreur, avec entre autres arguments que la banque avait indiqué dans sa proposition commerciale pour la formule n°1 « que le taux payé n’est pas protégé à la hausse. Une simulation du taux à payer en fonction de l’évolution de la parité dollar franc suisse est jointe. […] Cette simulation montre que le taux à payer peut atteindre 28,71% » (p. 10).

De même pour la formule n°2 « Est joint un graphique montrant l’évolution historique des cours de l’euro en dollar américain et de l’euro en franc suisse, leurs cours à terme, et une simulation des taux à payer selon différentes hypothèses, simulation montrant que le taux peut progresser rapidement […] et peut atteindre 18,49% ».

Lille est également débouté sur le motif de son incapacité à traiter ce type d’opérations et de la mauvaise foi de la banque (p. 13 à 17).

La juge aborde ensuite la demande de dommages-intérêts et remarque à propos du devoir d'information : « Il n’est en premier lieu pas contesté par la société RBS qu’elle n’a pas communiqué la valorisation des swaps à la date de leur conclusion. Cette valorisation, était, contrairement aux affirmations de la société RBS, un élément d’information important et pertinent ». L’importance de cette information avait été soulignée par la Cour des Comptes et « La société RBS s’est d’ailleurs engagée dans le contrat à fournir une valorisation, au 30 juin et au 31 décembre de chaque année, et était donc consciente de l’importance de cet élément. En ne communiquant pas la valorisation des swaps à la date de leur conclusion, la société RBS a manqué à son obligation d’information » (p. 20, c’est nous qui soulignons).

Quant au manquement au devoir de conseil, Lille est déboutée sur les formules 2 et 3 sur la base des échanges de courriels antérieurs à la conclusion des opérations, notamment parce que le directeur du service a écrit « je souhaite réaliser cette opération ce matin, je n’ai pas de souci par rapport au fait qu’elle n’est pas capée » (p. 20). Par contre la communauté urbaine obtient gain de cause sur la formule n°1 sur la base d’une analyse approfondie au terme de laquelle le juge conclut qu’« en proposant à LMCU la conclusion d’un tel contrat, la société RBS a manqué à son devoir de conseil » (p. 21).

La conclusion est donc, en premier ressort, que le tribunal :

  • « Déboute Lille Métropole Communauté Urbaine de ses demandes d’annulation des trois contrats d’échange de taux ;
  • Déboute Lille Métropole Communauté Urbaine de ses demandes de résolution des trois contrats d’échange de taux ;
  • Dit que la société RBS a manqué à son obligation d’information, lors de la conclusion des trois contrats, et à son obligation de conseil, lors de la conclusion du swap n° 1 ;
  • Avant dire droit sur l’évaluation du préjudice de Lille Métropole Communauté Urbaine, et sur le surplus des demandes des parties, invite les parties à donner leur avis sur l’organisation d’une mesure de médiation judiciaire »

Nous recommandons la lecture exhaustive de ce jugement (voir à ce lien) aux élus et contribuables concernés. Le tribunal a analysé avec beaucoup de détails et de finesse le contexte de chacun de ces trois contrats. Les communications échangées préalablement à la conclusion de ces transactions, produites pour sa défense par la banque, ont été également passées au crible.

Ce jugement est une bonne nouvelle pour les autres collectivités, car – sauf si elles ont été très clairement averties par la banque – on observe que les juges considèrent que la valorisation initiale des opérations fait partie des informations que la banque aurait dû communiquer à la collectivité pour bien apprécier les risques inhérents aux opérations qualifiées de couverture. Une valorisation très négative signifie que le jeu est globalement perdant pour la collectivité. Or il se trouve que cette valorisation est faite de deux parties : la valeur des opérations préexistantes et la marge de la banque.

Depuis plusieurs années nous soulignons l’importance de la valeur de marché des emprunts toxiques, qui représente le coût à payer pour revenir à un taux sans risque.

Dans le cas du Sidru, cette information n’a été révélée qu’une fois par l’exécutif, en 2008 (voir notre article),  mais figure dans le rapport de la Chambre Régionale des Comptes (voir lien dans notre synthèse).

A ce jour, nous ignorons la teneur des arguments présentés par la banque Depfa pour se défendre contre le Sidru. Nous ne disposons que des contrats, pas des échanges de courriels entre la banque et le syndicat. Ces éléments - on le voit dans ce jugement, notamment le manquement à l’obligation d’information qui n’est reconnu que pour une des trois opérations - sont déterminants.

Le PS de Saint-Germain, qui a révélé les emprunts toxiques du Sidru, demande depuis plusieurs années que le contrat qui lie le Sidru à la banque Natixis soit également dénoncé. Les mêmes arguments que ceux développés par Lille peuvent être avancés, à savoir des manquements au devoir de d’information et de conseil. En particulier, le Sidru a-t-il été averti du taux à payer qui pouvait dépasser 30% ? A-t-il été informé de la valeur de marché de l’opération, avant et après renégociation ?

 

1 Le scénario défavorable s’est produit pour les formules 1 et 2, mais pas pour la 3.

 

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